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Jean Bédard, l'homme derrière la Société Duvetnor
Rédaction
Nathalie Le Coz, partage avec nous ses rencontres avec des Bas-Laurentiens qui ont tracé leur propre chemin.
Ponctuel, posture bien droite, regard direct. Nous trouvons un banc au soleil sous un vent du nordet, frisquet et insistant. À la Pointe de Rivière-du-Loup où le fleuve, ses îles et les montagnes de l’autre rive envahissent les deux-tiers du champ de vision, Jean Bédard détourne les yeux vers le lointain. Il est prêt à livrer quelques épisodes de vie. De préférence ceux qui le projettent dans l’action.
À 86 ans, l’homme consent tout juste à laisser de côté certaines batailles trop difficiles à mener pour se consacrer à d’autres projets plus à sa portée. Il est occupé par le legs. Tout d’abord, il écrit. Il tient à consigner ses points de vue et les étapes de sa lutte pour la conservation des îles qui s’étirent en face de nous, et les oiseaux marins qui y nichent.
Au fait! Lecteur qui a déjà séjourné ou séjournera sur l’Île aux Lièvres, ou au phare des Îles du Pot à l’Eau-de-Vie, sache que tu dois cette escapade à l’homme en question. Son histoire entrepreneuriale commence en 1979 avec la création de Duvetnor et l’obtention d’un permis d’Environnement Canada pour cueillir du duvet dans les milliers de nids d’eiders concentrés sur les îles.
L’entreprise s’exécute dès le printemps suivant, en échange de recherches sur le terrain et de données sur les populations aviaires. Le marché de ce duvet très haut de gamme, exporté en Allemagne et au Japon, allait permettre d’acheter un premier bateau et, surtout, les îles à protéger d’un quelconque développement immobilier, industriel ou commercial.
Ainsi, entre 1984 et 1986, Duvetnor acquiert les îles Pèlerins en face de Saint-André-de-Kamouraska, les Îles du Pot à l’Eau-de-Vie et enfin, l’Île aux Lièvres, clé de voûte de l’écosystème des oiseaux de mer de l’estuaire moyen.
L’idée d’ouvrir les îles au tourisme s’est développé par la bande et ne se concrétise qu’une dizaine d’années plus tard. Précurseur en matière d’écotourisme, Duvetnor prévoit l’accès à l’île et la circulation en nombre restreint, après la période de nidification, alors que les poussins réunis en crèche flottent déjà sur l’eau des anses sous la surveillance des adultes.
Des quelques sites de camping aménagés au début, les installations intègrent à ce jour huit chalets et une auberge pouvant accueillir neuf personnes. Les visiteurs occasionnels et aficionados de l’Île aux Lièvres n’entrent pas dans la catégorie du tourisme de masse. Ce sont souvent des voyageurs qui reconnaissent n’avoir jamais rien vu de tel ailleurs.
Disons-le … un séjour à l’île, à quelques kilomètres à peine de Rivière-du-Loup et de la côte, au cœur de nuées d’oiseaux, est une expérience unique lors de laquelle le temps n’obéit qu’à la succession des marées, des jours et des nuits.
Actuel et connecté, Jean Bédard est de la trempe des visionnaires. Il fonde des opinions éclairées, étayées par une formation universitaire, des décennies d’enseignement, de recherche et d’observation sur le terrain. Lui-même muni d’un doctorat sur les oiseaux marins de la Mer de Béring, ce leader s’appuie sur un conseil d’administration solide qui compte des spécialistes en biologie et en gestion.
À la question « est-ce que le fleuve est en santé? », la réponse est malheureusement énoncée sans compromis. Quoique le cheptel d’oiseaux marins soit encore robuste, la faune aquatique est en mauvaise posture. Il n’y a plus de hareng et le maquereau est menacé. On est en train de perdre la crevette, chassée par le sébaste en croissance … pour un temps seulement. On parle aussi d’absence d’oxygène dans les eaux profondes du fleuve. Que restera-t-il bientôt à manger au béluga?
L’inquiétude de Jean Bédard est fondée. Cependant, rétif aux lieux communs et aux idées préconçues, il n’adhère pas en bloc aux panoplies de réglementations trop tardives, supposées sauvegarder certaines espèces. Son travail de conservation mené de longue haleine influence sa propre lecture des choses.
Et comment interpréter la volonté d’un homme qui travaille encore à un projet de forfait « Découverte de l’Estuaire » pour 2025? Que penser d’un homme fier de son équipe dont une dizaine d’employés lui sont fidèles depuis près de 20 ans? Il fait certes preuve à la fois de l’impatience et de la confiance propres aux hommes d’action.
Lecteur, note que Jean Bédard travaille actuellement à l’écriture d’un livre qui te racontera le fleuve et ses îles, ses usagers de tout acabit, leurs faits d’armes et leurs polémiques, ses oiseaux par centaines de milliers, tout cela sur un horizon de 40 ans. Surveille sa sortie en librairie. Ça risque d’être un must!
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@BasSaintLaurent
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